mercredi 5 mars 2014

André Masson - Tauromachie


Et une "belle" ekphrasis du cher Sartre, cité par Florence Burgat dans Une autre existence. La condition animale :

"J’ai longuement expliqué à Bost, en déjeunant, toutes les merveilles de la corrida. Mais il s’est trouvé qu’elle était mauvaise et il a été écœuré : “J’étais sûre qu’il serait indigné, ce protestant”, a dit le Castor. Mauvais toros, mauvais toreros. Tu me diras qu’il est honteux de parler de “mauvais toros”, tout autant que “d’indigènes paresseux” car enfin ils ne nous demandent rien et on va les chercher. D’accord et c’est bien ce qui indignait Bost. “Vous m’aviez dit que le toro prenait part à la course. Mais il se désintéresse totalement de la question.” Et il est de fait que le toro idéal, celui dont le torero “fait ce qu’il veut” est une sorte de saint-cyrien des taureaux, coléreux, héroïque et stupide, qui fonce partout. Ceux qu’on nous a montrés reculaient devant l’étoffe rouge en grattant le sol de leurs sabots et en mugissant lamentablement. Il y en a même un qu’on n’a pas pu tuer : il foutait le camp. Alors on a fait entrer dans l’arène un veau avec des clochettes et le veau a remmené paisiblement le toro sanglant à sa suite. Les toreros faisaient des passes correctes mais ils tuaient mal. Les bêtes saignaient tout ce qu’elles savaient et il fallait s’y reprendre à quatre fois pour les tuer. On leur arrachait l’épée inefficace plantée dans leur nuque avec une canne (“Pourquoi pas avec un parapluie” disait Bost furieux) et on leur en plongeait une autre et ainsi de suite jusqu’à ce qu’ils tombent. Encore fallait-il alors les achever au couteau […] Ça ne ressemblait en rien aux courses d’Espagne et pourtant c’était bien plaisant pour nous parce que ça nous rappelait l’Espagne."

Sartre, Jean-Paul, Lettres au Castor et à quelques autres (1926-1939), Paris, Gallimard, 1983, p.250


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